La blockchain trouve de nombreuses applications en Supply Chain :
- Traçabilité
- Lutte contre la fraude
- Systèmes de vérification/audit
Mais quels sont les exemples concrets de mises en œuvre de Blockchain ? Comment les professionnels de la chaîne d’approvisionnement peuvent-ils devenir des experts dans ce domaine ?
J’ai abordé ces sujets avec un ami, qui est un expert en Blockchain pour la Supply Chain. J’ai eu l’occasion de lui poser toutes mes questions sur la Blockchain.
Voici la vidéo de l’interview ci-dessous (en anglais) :
(La vidéo ainsi que cet article ne sont pas sponsorisés)
Blockchain et Supply Chain : présentation d’un expert
J’ai rencontré Žiga il y a quelques années lors d’une conférence à Sydney. J’ai rapidement compris qu’il était expert en crypto. Après une longue discussion sur le Bitcoin et l’Ethereum, j’ai été surpris de découvrir qu’il connaissait aussi très bien la Supply Chain.
En effet, Žiga Drev est cofondateur et directeur général de OriginTrail, un écosystème qui améliore la visibilité des chaînes d’approvisionnement en permettant le partage de données de confiance entre les organisations et les systèmes. Depuis les 10 dernières années, OriginalTrail améliore la visibilité et la transparence des chaînes d’approvisionnement, de sorte que les consommateurs aient accès aux informations sur l’origine des produits qu’ils achètent.
En 2013, Žiga a lancé son entreprise avec ses deux associés et a commencé à ajouter des composants blockchain dans leurs solutions en 2016. Très rapidement, ils ont réalisé que la blockchain n’est pas une solution miracle en Supply Chain, car elle n’a pas toutes les propriétés d’une base de donnée conventionnelle. C’est pourquoi ils ont rendu le protocole Origin Trail libre d’accès, afin de résoudre les problèmes rencontrés par l’utilisation de la blockchain pour la Supply Chain : l’évolutivité, les coûts et le manque de caractéristiques de base de données.
Depuis lors, ils ont mis en œuvre ce protocole aux États-Unis, en Chine et dans de nombreux autres pays.
Voici la transcription de l’interview (traduite en français).
1. Qu’est-ce que la blockchain ?
Je pense que nous devons examiner ce que la blockchain offre, et généralement il s’agit de confiance. Si nous échangeons des données de manière très centralisée, nous pouvons toujours être sceptiques et se demander si quelqu’un a trafiqué ces données. Mais si l’on applique la blockchain pour échanger des données, alors nous créons essentiellement un environnement dans lequel les moyens traditionnels de générer la confiance ne sont plus nécessaires. Vous mettez ce genre de fardeau […] sur la blockchain
À quoi sert donc la Blockchain finalement ?
Elle permet la confiance entre différentes parties qui échangent des données et c’est pour cela que nous utilisons la blockchain.
2. Quelle est la différence entre la Blockchain et une base de données ?
La Blockchain est aussi une sorte de base de données. C’est une base de données très primitive où vous stockeriez et échangeriez des données en blocs et en hachages. […] Vous faîtes probablement référence à la différence entre base de données centralisée et blockchain, qui est une sorte de grand livre décentralisé et distribué.
Et du point de vue du coût, la blockchain et surtout les blockchains publiques sont plus chères. […] Il est possible que vous n’obteniez pas la confiance nécessaire lorsque vous stockez des données dans une base de données centralisée, alors que l’utilisation d’une technologie décentralisée comme la blockchain peut vous donner cette propriété de confiance. Cette confiance a un coût.
3. Quel est le coût de la blockchain pour la Supply Chain ?
Cela dépend de la façon dont vous l’utilisez. Initialement, nous avons commencé à utiliser des blockchains publiques dès 2016 pour enregistrer les hashs -les empreintes digitales des données- envoyés depuis les ERP. Nous avons fait quelques tests où on n’envoyait pas seulement des hashs mais où l’on stockait plus de données, et c’était très coûteux.
Nous avons alors fait preuve de bon sens quant à l’utilisation des blockchains, en l’utilisant uniquement pour obtenir un niveau de confiance supplémentaire, nous avons pu réduire considérablement les coûts.
Pour l’échange et le stockage de données, la blockchain est bien plus coûteuse, mais vous ne l’utiliserez pas pour cela : c’est comme comparer des pommes et des pêches. En termes de valeur, l’utilisation de la blockchain -de la bonne manière, c’est-à-dire uniquement en tant qu’étape de consensus dans le modèle de données- dépasse largement la valeur de l’utilisation de données centralisées.
4. Comment utiliser la Blockchain en Supply Chain ?
Cela dépend : Les entreprises viennent généralement nous voir lorsqu’elles ont des problèmes de traçabilité ou lorsqu’elles ont des problèmes de transparence dans leurs chaînes d’approvisionnement.
La première étape serait de se former soi-même. Il existe pléthore de ressources disponibles en ligne. Vous pouvez aller sur YouTube, il y a à la fois des exemples détaillés et de haut niveau sur la façon d’utiliser la blockchain. L’autoformation a une grande utilité.
La deuxième étape consisterait à contacter une entreprise qui peut examiner votre modèle d’entreprise et le problème que vous rencontrez, puis vous proposer un atelier sur la manière d’appliquer la blockchain dans votre cas.
5. Quels sont les 3 principaux problèmes que vous résolvez avec la blockchain pour la Supply Chain ?
En matière d’échanges de données, il y a plusieurs problèmes. Il y a plusieurs technologies et modèles de données ouvertes que vous devriez appliquer si vous voulez utiliser la blockchain.
Rendre les données plus cohérentes dans une chaîne d’approvisionnement nécessite non seulement d’utiliser la blockchain, mais aussi de travailler sur les modèles de données. Car ce que vous abordez ici est un problème de mauvaises données. Un problème de mauvaises données a 3 aspects :
Les données ne sont pas bien structurées. Quelle que soit la technologie utilisée, elle ne fonctionnera pas : garbage in, garbage out.
Les données ne sont pas fiables. Dans ce cas, vous pourriez appliquer la blockchain pour vous assurer que les données que nous échangeons sont de confiance (donc après les avoir structurées).
Les données ne sont pas interopérables. Si vous voulez étendre votre solution à l’échelle de l’entreprise et si vous voulez inviter des fournisseurs ou au moins deux parties dans votre consortium, vous devrez vous assurer que la solution elle-même, donc l’intergiciel, est interopérable.
6. Quels sont vos 3 meilleurs exemples de projet Blockchain ?
L’un des exemples les plus intéressants est la British Standards Institution. Ils aident essentiellement les entreprises à devenir plus dignes de confiance dans un environnement international. La fiabilité est basée sur l’audit de différentes entreprises dans différentes parties du monde.
L’une des solutions que nous avons co-développées avec eux s’appelle « Scan Trusted Factory« . Il s’agit essentiellement d’une organisation qui associe les plus grands détaillants des États-Unis, tels que Walmart, Home Depot, Disney, Trader Joe’s, etc.
Le principal objectif de cette solution est de permettre à ces détaillants d’échanger des données d’audit sur les entreprises qui exportent ou importent des produits aux États-Unis. Ainsi, vous auriez 18 000 rapports d’audit à l’intérieur de la solution, et cela aide ces détaillants à échanger des données avec leurs concurrents, pour montrer que des rapports d’audit ont été réalisés.Un autre exemple, peut-être plus simple, est la traçabilité que nous faisons pour le plus grand producteur de volailles du sud-est de l’Europe. Nous les aidons à tracer les poulets. Ainsi, en tant que consommateur, lorsque vous allez dans un magasin, vous scannez un produit, puis vous voyez d’où vient le produit pour chaque lot spécifique.
Pour aller plus loin dans les exemples, nous sommes également présents dans les chaînes d’approvisionnement des chemins de fer, donc dans les transports. Nous travaillons avec les Chemins de fer fédéraux suisses et notre objectif est de rendre les données plus cohérentes afin que l’entreprise sache immédiatement d’où provient le matériel. Cela signifie que le transport est plus sûr, ce qui est très important pour les gros systèmes. Si quelque chose se détériore dans votre système ferroviaire, vous pouvez immédiatement établir une corrélation entre le matériau défectueux et votre fournisseur et agir plus rapidement pour améliorer la sécurité des passagers.
7. ERP (SAP, Oracle, Microsoft Dynamics…) et Blockchain ?
Aussi bien SAP, Oracle, IBM que les plus grandes entreprises proposent leurs propres solutions blockchain. L’une des choses qu’ils soulignent est que la blockchain n’est pas une solution miracle. Vous devez prendre en considération l’infrastructure existante […] et les modèles de données.
En fait, la première étape serait de modéliser les données de manière à ce que les différents systèmes puissent parler le même langage.
Dois-je utiliser SAP directement, ou dois-je utiliser une autre technologie connectée à SAP ?
C’est l’un ou l’autre, ce avec quoi vous êtes à l’aise en tant que directeur Supply Chain. L’essentiel est que la solution que vous utilisez soit interopérable avec les intergiciels que vos pairs pourraient utiliser. Un bon intergiciel se focalise sur l’utilisation de normes telles que JS1, W3C pour les informations d’identification vérifiables. Selon nous, les très bonnes technologies blockchain prennent en considération les modèles de données ouvertes. Vous pouvez donc choisir l’un ou l’autre [une solution intégrée ou non à SAP] tant que vos fournisseurs et vous-même êtes attentifs à la structure des données.
8. Comment puis-je commencer à intégrer la blockchain dans mon entreprise (en tant que Supply Chain manager/Directeur Supply Chain) ?
Je pense que vous devriez commencer par POURQUOI. La blockchain n’est pas une solution miracle. Vous devriez toujours vous interroger sur la raison pour laquelle vous utilisez ce type de technologie. Ainsi, si vous comprenez pourquoi vous le faites, il est beaucoup plus facile de sélectionner les meilleurs cours et aussi la meilleure technologie pour commencer à expérimenter. En outre, ces technologies sont en libre accès. Une fois que vous avez compris le problème que vous souhaitez résoudre, que vous avez suivi différents cours, vous pouvez peut-être rendre visite à l’un des fournisseurs. La plupart d’entre eux font partie de différentes associations.
Par exemple, nous en avons une qui s’appelle Trace Alliance, et au sein de Trace Alliance, nous formons des professionnels de cette façon. Vous avez même certaines associations qui peuvent vous former gratuitement.
Commencez donc par « pourquoi ? », puis trouvez les ressources dont vous avez besoin pour résoudre le problème de votre entreprise.
9. Comment puis-je devenir un expert en blockchain pour la Supply Chain ?
Devenir un expert est beaucoup plus facile aujourd’hui qu’il y a quelques années. Il y a tellement de ressources en ligne, vous pouvez simplement taper blockchain pour les chaînes d’approvisionnement pour avoir des réponses plus détaillées. Mon conseil personnel serait de rester curieux, et de ne pas vous enfermer dans une solution spécifique. Restez ouvert d’esprit, car il s’agit d’une technologie qui se développe rapidement et ce qui est tendance aujourd’hui pourrait être obsolète demain. Tout est basé sur des composants en accès libre, donc si vous gardez votre esprit flexible, vous pouvez ajouter certains composants qui sont facilement applicables.
10. Que dois-je apprendre en premier (fondations) ?
Vous devriez regarder dans les modèles de données ouvertes et open-source parce que c’est une sorte d’ABC de la Supply Chain, tout comme votre chaîne le soulignerait. Vous pouvez peut-être regarder du côté de GS1, une organisation mondiale responsable des systèmes de code-barres. Allez sur le site web et soyez curieux des normes, car l’ensemble des grandes entreprises utilise ces normes.
Aussi, quelque chose qui est un peu plus avancé et un peu moins mis en avant en Supply Chain est l’organisation W3C. Ces deux organisations sont très fondamentales, mais cruciales pour tout type d’échange de données. Et si vous voulez améliorer les échanges de données en utilisant des technologies décentralisées, vous utiliserez toujours les mêmes éléments [et les mêmes normes]. C’est pourquoi, pour ajouter par-dessus [votre système d’information actuel] n’importe quel type de solution décentralisée, vous êtes libre de choisir, car il y a tellement de fournisseurs. En les choisissant, assurez-vous de rester flexible, car les choses peuvent être obsolètes demain ! La structure des données est donc fondamentale.
11. Comment voyez-vous l’impact de la Covid sur le business de la Blockchain ?
Les entreprises deviennent plus curieuses d’utiliser la blockchain dans les chaînes d’approvisionnement en raison de la situation liée à la Covid. Les gens ne sont plus en mesure de voyager aussi souvent qu’avant, et la blockchain est prometteuse pour déléguer la confiance des humains à la technologie. Donc assurément, nous voyons la demande augmenter. Il semble que les entreprises qui ont attendu avant d’entamer des transformations numériques se réveillent.
12. Quel est l’avenir de la blockchain pour la Supply Chain ?
J’ai l’impression que les gens croient qu’il n’y aura pas une seule technologie blockchain. Très probablement, nous allons voir des grands livres décentralisés ou distribués mis en œuvre. Encore une fois, un point crucial à l’avenir pour la création de valeur de ces solutions concerne les modèles de données ouvertes. Ils vont alimenter l’interopérabilité entre ces différents écosystèmes de blockchain.
Je pense que les entreprises devraient être libres de choisir. Les gouvernements ou les grandes entreprises mettent en avant leurs solutions préférées, mais ne vous enfermez pas dans une seule solution. C’est bien d’avoir cette mentalité de marché libre, d’appliquer la solution que nous pensons être la meilleure. Il suffit de structurer correctement vos données d’abord, car une fois cela en place, il sera beaucoup plus facile d’interagir avec différents écosystèmes. «
13. Bonus : dois-je acheter du bitcoin aujourd’hui ?
Avis de non-responsabilité : Ceci n’est PAS un conseil financier.
Personnellement, je crois énormément aux crypto-monnaies et la blockchain est en quelque sorte une crypto-monnaie. Je crois que c’est un bon investissement, mais vous ne devriez investir que ce que vous êtes prêt à perdre. Investissez donc une petite partie parce que c’est très risqué, mais aussi très prometteur. Faites vos devoirs, lisez tout sur le sujet, afin d’être conscient des risques.
Blockchain et Supply Chain : avant d’aller plus loin
Voilà pour l’interview, j’espère que vous l’avez appréciée autant que moi ! Et que vous avez saisi le potentiel des applications de la blockchain dans la Supply Chain.
Avant d’utiliser une technologie aussi avancée, vous devez vous assurer que vous maîtrisez les outils et méthodes essentiels en Supply Chain, tels que :